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Le droit à la ramasse



C’est bien une triste lecture que j’ai récemment faite : le gouvernement canadien a envoyé une injonction « Mareva » à une entreprise « Nunchuk », éditrice de wallet notamment pour le bitcoin.

Dans le droit, une injonction « Mareva », connue encore sous l’appellation d’ordonnance de gel ou de protection des actifs, est un type d'injonction interlocutoire qui empêche un accusé ou la partie civile de gérer tout ou partie de ses actifs (c'est-à-dire en déplaçant des actifs à l'étranger ou en les dissipant) pendant que la procédure judiciaire est en cours.

Pour l’obtenir, la partie civile [1]doit prouver à la cour :

- Qu’elle a obtenu un jugement favorable ou qu'elle a une bonne cause défendable ;

- Que le jugement risque d'être insatisfaisant en tout ou en partie en raison du retrait, de la cession ou de la transaction des actifs (dans le cadre d'une ordonnance contre un débiteur judiciaire) ; ou,

- Que le jugement risque d'être insatisfaisant en tout ou en partie lorsqu'un tiers exerce un contrôle et un pouvoir de disposition sur les biens (dans le cadre d'une ordonnance contre une partie autre qu'un débiteur judiciaire).

L’injonction est alors générée par une cour qui garde un pouvoir discrétionnaire sur l’émission de l’injonction ou non.

La cour supérieure de Justice de l’Ontario à ordonnée à Nunchuk, une entreprise spécialisée dans l’édition de Wallet Bitcoin Multisig :

- Geler les wallets des participants à la « #FreedomConvoy »

- D’empêcher que les actifs contenus dans les wallets ne soient bouger de quelques façons que ce soit (revendus, transférer etc.)

- De fournir des informations liées aux propriétaires de wallet

Rappelons-nous que la #FreedomConvoy ou convoi de la liberté, est un mouvement de protestation contre l'obligation vaccinale anti-Covid-19, imposée aux personnes entrant au Canada par voie terrestre et introduite le 15 janvier 2022 par le gouvernement du Canada.


L’état actuel des juristes


Notre propos est de lancer une alerte dans le monde des juristes de toutes spécialités, parce que nous estimons que le pire est à venir !

L’état actuel des connaissances liées au fonctionnement de la blockchain dans le monde du droit est embryonnaire. Le cas est flagrant pour notamment la cour supérieure de Justice de l’Ontario qui émet une telle ordonnance à une entreprise qui n’est pas responsable de l’utilisation qui est faite des Wallets Mutlisig.


Qu’est-ce qu’un Wallet Multisig ?

C’est un Wallet classique de stockage de cryptomonnaies, notamment du bitcoin dans le cas de l’entreprise « Nunchuk » avec pour particularité qu’elle possède plusieurs clés privées permettant de pouvoir toujours accéder aux actifs, même si une des clés est perdue ou oubliées par son détenteur.

Rappelons qu’une clé privée peut-être comparée à un mot de passe avec cette particularité, que c’est la clé privée qui est à l’origine d’une clé publique et non l’inverse, comme on peut le voir sur les logiciels du web 2.0 comme Facebook ou votre compte bancaire classique : vous êtes à l’origine de votre profil qui est visible à tout internet et qui peut être comparé à une clé publique et à partir de votre profil, vous générer votre mot de passe ou clé privée !

Une institution comme la cour supérieure de Justice de l’Ontario a assez de moyen pour s’informer sur la nature d’un wallet et plus largement du fonctionnement du Web 3.0. Cela fait déjà 5 ans que nous parlons de souveraineté numérique en lien avec la blockchain et le wallet. Il est donc nécessaire pour les juristes de rester informer des changements « pragmatiques » de la technologie afin de ne pas être ridiculisés sur internet comme vient de l’être, la cour supérieure de Justice de l’Ontario.


Nul n’est sensé ignorer la loi, même si elle est dictée par le Code Is Law !


La réponse de l’entreprise « Nunchuk » à la cour supérieure de Justice de l’Ontario est très « bitcoinisée ». Par-là, nous voulons dire qu’elle est à la fois simple, ironique et surtout expéditive !

Traduit de l’anglais au français, voici ces grandes lignes :

« Chère cour supérieur de Justice de l’Ontario,

Nunchuk est un wallet bitcoin multisign auto-dépositaire et collaboratif ! nous sommes un fournisseur de logiciels, pas un intermédiaire financier dépositaire.

Notre logiciel est libre d’accès. Il permet aux utilisateurs de stocker en toute sécurité leurs actifs tout en éliminant des défaillances liées notamment à la perte d’une clé privée unique, et bien sûr dans la protection de la vie privée !

Nous ne collectons pas les données de nos utilisateurs, à l’exception de l’adresse email. Nous n’avons pas non plus de clés privées à notre disposition.

Ainsi, nous ne pouvons :

- Geler les actifs de nos utilisateurs,

- Nous ne pouvons empêcher leur utilisations (vente, déplacement, etc.)

- Nous n’avons connaissance ni de l’existence, ni de la nature des actifs ni de la localisation de nos utilisateurs. Cette configuration est faite par design !

Nous vous invitons à vous informer sur le fonctionnement de la clé privée et du dépôt dans le monde de la blockchain. »

Telles sont dans les grandes lignes, la réponse de l’équipe de « Nunchuk » à la cour supérieure de Justice de l’Ontario.


Analyse rapide de la réponse


Cette réponse suscite beaucoup de questionnements juridico-techniques, notamment concernant le rôle de la justice face à la blockchain.

Le premier questionnement est en rapport avec la transition technologique des domaines du droit. Les moyens de communication et de transaction passent désormais au tout numérique et le concept d’identité décentralisée envahit la place publique. Si jusqu’au Web 2.0, l’Etat pouvait contraindre les entreprises privées à légiférer en son nom (banque, réseaux sociaux, etc.), avec le web 3.0, cette contrainte de l’Etat est obsolète !

Le deuxième questionnement consiste à se poser la question sur la barrière entre l’intérêt public et la sphère privée. Il était jusqu’alors facile pour l’Etat d’imposer la limite de ce qu’elle considérait comme une menace à l’ordre et à l’intérêt public et de ce fait, pouvait sévir directement dans la sphère privée, en notamment, imposant des restrictions de transaction ou de liberté à certains individus jugés dangereux. Mais avec l’apparition d’un wallet multisig comme celui de « Nunchuk », géré collaborativement, il devient difficile à l’Etat, de restreindre géographiquement, physiquement ou financièrement des « individus » jugés dangereux pour l’ordre et l’intérêt public !

Ces deux questionnements repositionnent le débat juridico-technique sur la question de la nature du droit et de la façon dont il est enseigné, étudié ou pratiqué ! Il nous permet d’affirmer qu’un monde littéralement juridique, est une fausse route dans l’évolution des pratiques juridiques !

[1] https://sklawyers.com.au/dictionary/mareva-injunction/

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